Préface
Une anthologie poétique est un
recueil de poèmes choisis partageant le même thème. Ici nous allons faire face
au thème de la guerre. Celle-ci a marqué fortement l’histoire ainsi que la
poésie au cours du temps. Ce recueil, classé de manière chronologique, est
constitué de:
• Après la
Bataille de Victor Hugo (1830-1840) à cause de son paradoxe : la pitié en temps
de guerre ;
• Le Dormeur
du Val d’Arthur Rimbaud (1870) dû à son côté implicite et magique ;
• Le
Cauchemar des deux mères d’Eugène Manuel (1871) car il décrit la guerre à
l’avant comme à l’arrière ;
• Carte
postale de Guillaume Apollinaire (1914-1918) dû à sa courte longueur (un
sizain) ;
• La Rose et
le Réséda de Louis Aragon (1944) qui a été choisi à cause de son engagement
politique ;
• Le
Déserteur de Boris Vian (1953), choisi pour son côté explicite et dénonciateur
qui est rarement vu dans la poésie ;
• Manhattan-Kaboul
de Renaud (2002) à cause de sa forme en tant que chanson, et aussi à cause de
son modernisme.
Après
la Bataille, Victor Hugo
Victor Hugo, poète romantique français du
XIXème siècle , écrit ce poème entre 1830 et 1840 (la date est imprécise). Par
ce poème Victor Hugo trace un portrait de son père en le mettant en valeur
comme un héros. La scène se passe pendant la guerre d'Espagne où les troupes napoléoniennes sont parties à la conquête de la péninsule ibérique.
Mon père, ce
héros au sourire si doux,
Suivi d'un
seul housard qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa
haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d'une
bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l'ombre entendre
un faible bruit.
C'était un
Espagnol de l'armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord
de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.
Et qui
disait: " A boire! à boire par pitié ! "
Mon père,
ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde
de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit: "Tiens, donne à boire à
ce pauvre blessé. "
Tout à coup,
au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l'homme, une
espèce de maure,
Saisit un
pistolet qu'il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant:
"Caramba! "
Le coup passa si près que le chapeau
tomba
Et que le cheval fit un écart en
arrière.
" Donne-lui tout de même à boire
", dit mon père.
Le
Dormeur du Val, Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20
octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Le Dormeur du Val issu des Cahiers de Douai, est un sonnet en
alexandrins qui raconte de la mort d'un jeune soldat au milieu d'une magnifique
nature au cours de la guerre franco-prussienne de 1870, et plus
particulièrement la bataille de Sedan.
L'homme blessé, de Gustave Courbet, représentant une scène similaire à celle évoquée par Rimbaud |
"Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille.
Il a deux trous rouges au côté droit"
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Le
Cauchemar des Deux Mères, Eugène Manuel
Eugène Manuel est un poète et politicien
français du XIXème siècle. Dans sa poésie, il évoque les thèmes classiques de
son époque : la famille, l’amour et la pitié. La poésie de Manuel présente une
dimension politique, comme par exemple les valeurs de la République. Patriote
tout en étant pacifiste, il publie, en 1871, son recueil Pendant la guerre. Celui-ci
est dédié aux sans-grades, à tous ces individus inconnus qui, des deux côtés,
sur les champs de bataille s’affrontèrent, lors de la guerre franco-prussienne.
Ambulances civiles pendant la guerre, 1870 |
« Et j'entendais, au même instant,
Sur un affreux champ de carnage,
Contre la souffrance luttant,
Gémir deux enfants du même âge »
1. J'ai vu, dans un rêve attristé, Deux chaumières presque pareilles, Et deux voix dans l'obscurité, Plaintives, qui frappaient mes oreilles. | 2. Chaque maison était cachée Dans un de ces vallons prospère D'où la guerre avait arraché Bien des enfants et bien des pères ... | |
3. La neige posait lentement Ses flocons sur les branches mortes ; La bise au long gémissement Pleurait par les fentes des portes. | 4. Les deux foyers se ressemblaient, Et devant le feu des broussailles, Deux mères, dont les doigts tremblaient Songeaient aux lointaines batailles. | |
5. Leur esprit voyageait là-bas : Point de lettre qui les rassure ! Quand les enfants sont au combat ! Pour les mères tout est blessure ! | 6. L'une comme l'autre invoquaient le ciel Priant dans sa langue ou la nôtre : " Mein Kind ! mein Kind " O vie cruelle ! " Mon fils ! Mon fils " murmurait l'autre. | |
7. Et j'entendais, au même instant, Sur un affreux champ de carnage, Contre la souffrance luttant, Gémir deux enfants du même âge | 8. Les deux soldats se ressemblaient, Mourant quand il fait bon vivre ; Et leurs pauvres membres tremblaient, Bleuis par la bise et le givre. | |
9. Ils s'éteignaient dans un ravin, En proie aux angoisses dernières ; Leurs yeux de loin suivaient de loin en vain La longue file des civières. | 10. Etrange réveil du passé, Qui précède l'adieu suprême, Evoquant pour chaque blessé La vision de ce qu'il aime ; | |
11. Et ces deux âmes, à l'heure sacrée Où la mort, en passant, vous touche Jetaient l'appel désespéré ! Que les petits ont à la bouche | 12. Les yeux remplis de souvenirs Une main sur la plaie grande ouverte Comme s'ils sentaient le froid venir Dans la grande plaine déserte : | |
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Carte
Postale, Guillaume Apollinaire
Guillaume
Apollinaire est un poète et écrivain français né le 25 août 1880 à Rome et mort
pour la France le 9 novembre 1918 à Paris. Carte
postale issu du recueil Calligrammes
a été écrit durant la Première Guerre Mondiale (1914-18) à la première
personne, décrit la beauté de la nature détruite par l'horreur de la guerre.
Je t’écris de
dessous la tente
Tandis que meurt ce
jour d’été
Où floraison
éblouissante
Dans le ciel à
peine bleuté
Une canonnade
éclatante
Se fane avant
d’avoir été
La
Rose et le Réséda, Louis Aragon
Louis Aragon est
un poète, romancier et journaliste du XXème siècle. Surréaliste ainsi que
dadaïste, il écrit de la poésie engagé en ayant soutenu le Parti communiste
français. En décembre 1944, Aragon publie le recueil La Diane Française, qui est consacré à la Résistance, et notamment
dédicacé aux résistants Guy Môquet, Gabriel Péri, Honoré d’Estienne d’Orves et
Gilbert Dru. On y trouve le poème « La Rose et le Réséda », qui appelle à
l’unité des résistants, c’est-à-dire un dépassement des divisions politiques et
religieux.
Execution des membres du groupe "Manouchian",21 février 1944, Clemens Ruther |
« Et quand vient l'aube cruelle
Passent
de vie à trépas »
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
Tous deux
adoraient la belle
Prisonnière
des soldats
Lequel
montait à l'échelle
Et lequel
guettait en bas
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
Qu'importe
comment s'appelle
Cette
clarté sur leur pas
Que l'un
fut de la chapelle
Et
l'autre s'y dérobât
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
Tous les
deux étaient fidèles
Des
lèvres du cœur des bras
Et tous
les deux disaient qu'elle
Vive et
qui vivra verra
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
Quand les
blés sont sous la grêle
Fou qui
fait le délicat
Fou qui
songe à ses querelles
Au cœur
du commun combat
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
Du haut
de la citadelle
La
sentinelle tira
Par deux
fois et l'un chancelle
L'autre
tombe qui mourra
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
Ils sont
en prison Lequel
A le plus
triste grabat
Lequel
plus que l'autre gèle
Lequel
préfère les rats
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
Un
rebelle est un rebelle
Deux
sanglots font un seul glas
Et quand
vient l'aube cruelle
Passent
de vie à trépas
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
Répétant
le nom de celle
Qu'aucun
des deux ne trompa
Et leur
sang rouge ruisselle
Même
couleur même éclat
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
Il coule
il coule il se mêle
À la
terre qu'il aima
Pour qu'à
la saison nouvelle
Mûrisse
un raisin muscat
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui
n'y croyait pas
L'un
court et l'autre a des ailes
De
Bretagne ou du Jura
Et
framboise ou mirabelle
Le
grillon rechantera
Dites
flûte ou violoncelle
Le double
amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle La rose et le réséda
Le Déserteur, Boris Vian
Boris
Vian est un écrivain, poète et musicien français du XXème siècle. Il écrit le
poème « Le Déserteur » en 1953, qui est interprété pour la première fois en
1954. C’est un poème pacifiste, en réaction contre la guerre d’Indochine
(1946-1954).
Petit Portoricain
Bien intégré, quasiment New-Yorkais
Dans mon building tout de verre et d’acier
Je prends mon job, un rail de coke, un café
Petite fille Afghane
De l’autre côté de la terre
Jamais entendu parler de Manhattan
Mon quotidien c’est la
misère et la guerre
Refrain :
Deux étrangers au bout du monde, si différents
Deux inconnus, deux anonymes, mais pourtant
Pulvérisés sur l’autel
De la violence éternelle
Un 747
S’est explosé dans mes fenêtres
Mon ciel si bleu est devenu orage
Lorsque les bombes ont rasé
mon village
Refrain
So long ! Adieu mon rêve américain
Moi plus jamais esclave des chiens
Ils t’imposaient l’Islam des tyrans
Ceux-là ont-ils jamais lu le Coran ?
Suis redev’nu poussière
Je s’rai pas maître de l’univers
Ce pays que j’aimais tell’ment serait-il
Finalement colosse aux pieds d’argile ?
Les dieux, les religions
Les guerres de civilisation
Les armes, les drapeaux, les patries, les nations
F’ront toujours de nous de
la chair à canon
Refrain (x2)