dimanche 5 janvier 2014

Anthologie poétique sur la guerre




Préface
Une anthologie poétique est un recueil de poèmes choisis partageant le même thème. Ici nous allons faire face au thème de la guerre. Celle-ci a marqué fortement l’histoire ainsi que la poésie au cours du temps. Ce recueil, classé de manière chronologique, est constitué de:
      Après la Bataille de Victor Hugo (1830-1840) à cause de son paradoxe : la pitié en temps de guerre ;
      Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud (1870) dû à son côté implicite et magique ;
      Le Cauchemar des deux mères d’Eugène Manuel (1871) car il décrit la guerre à l’avant comme à l’arrière ;
      Carte postale de Guillaume Apollinaire (1914-1918) dû à sa courte longueur (un sizain) ; 
      La Rose et le Réséda de Louis Aragon (1944) qui a été choisi à cause de son engagement politique ;
      Le Déserteur de Boris Vian (1953), choisi pour son côté explicite et dénonciateur qui est rarement vu dans la poésie ;
      Manhattan-Kaboul de Renaud (2002) à cause de sa forme en tant que chanson, et aussi à cause de son modernisme.
          

Après la Bataille, Victor Hugo

      Victor Hugo, poète romantique français du XIXème siècle , écrit ce poème entre 1830 et 1840 (la date est imprécise). Par ce poème Victor Hugo trace un portrait de son père en le mettant en valeur comme un héros. La scène se passe pendant la guerre d'Espagne où les troupes napoléoniennes sont parties à la conquête de la péninsule ibérique.
" Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père                               Henri Jacquier Musée de Vienne (Isère)

Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d'une bataille, 
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.
C'était un Espagnol de l'armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route, 
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.
Et qui disait: " A boire! à boire par pitié ! "
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit: "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. "
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: "Caramba! "
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
" Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.


Le Dormeur du Val, Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Le Dormeur du Val issu des Cahiers de Douai, est un sonnet en alexandrins qui raconte de la mort d'un jeune soldat au milieu d'une magnifique nature au cours de la guerre franco-prussienne de 1870, et plus particulièrement la bataille de Sedan. 
L'homme blessé, de Gustave Courbet, représentant une scène similaire à celle évoquée par Rimbaud
"Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine            
 Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit"     
                                      
                                             C'est un trou de verdure où chante une rivière
                                              Accrochant follement aux herbes des haillons
                                           D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
                                              Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.


                                         Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
                                                Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
                                           Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,
                                      Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.



                                                      Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
                                           Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
                                    Nature, berce-le chaudement : il a froid.



                                             Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
                                         Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
                                              Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

                                         
  Le Cauchemar des Deux Mères, Eugène Manuel
Eugène Manuel est un poète et politicien français du XIXème siècle. Dans sa poésie, il évoque les thèmes classiques de son époque : la famille, l’amour et la pitié. La poésie de Manuel présente une dimension politique, comme par exemple les valeurs de la République. Patriote tout en étant pacifiste, il publie, en 1871, son recueil Pendant la guerre.  Celui-ci est dédié aux sans-grades, à tous ces individus inconnus qui, des deux côtés, sur les champs de bataille s’affrontèrent, lors de la guerre franco-prussienne.       
Ambulances civiles pendant la guerre, 1870
 « Et j'entendais, au même instant,       
   Sur un affreux champ de carnage,                                                               
   Contre la souffrance luttant, 
   Gémir deux enfants du même âge »    

     
1.
J'ai vu, dans un rêve attristé,
Deux chaumières presque pareilles,
Et deux voix dans l'obscurité,
Plaintives, qui frappaient mes oreilles. 

 
2.
Chaque maison était cachée
Dans un de ces vallons prospère
D'où la guerre avait arraché
Bien des enfants et bien des pères ... 

 
3.
La neige posait lentement
Ses flocons sur les branches mortes ;
La bise au long gémissement
Pleurait par les fentes des portes. 

 
4.
Les deux foyers se ressemblaient,
Et devant le feu des broussailles,
Deux mères, dont les doigts tremblaient
Songeaient aux lointaines batailles. 

 
5.
Leur esprit voyageait là-bas :
Point de lettre qui les rassure !
Quand les enfants sont au combat !
Pour les mères tout est blessure ! 

 
6.
L'une comme l'autre invoquaient le ciel
Priant dans sa langue ou la nôtre :
Mein Kind ! mein Kind " O vie cruelle !
Mon fils ! Mon fils " murmurait l'autre. 

 
7.
Et j'entendais, au même instant,
Sur un affreux champ de carnage,
Contre la souffrance luttant,
Gémir deux enfants du même âge 

 
8.
Les deux soldats se ressemblaient,
Mourant quand il fait bon vivre ;
Et leurs pauvres membres tremblaient,
Bleuis par la bise et le givre. 

 
9.
Ils s'éteignaient dans un ravin,
En proie aux angoisses dernières ;
Leurs yeux de loin suivaient de loin en vain
La longue file des civières. 

 
10.
Etrange réveil du passé,
Qui précède l'adieu suprême,
Evoquant pour chaque blessé
La vision de ce qu'il aime ; 

 
11.
Et ces deux âmes, à l'heure sacrée
Où la mort, en passant, vous touche
Jetaient l'appel désespéré !
Que les petits ont à la bouche 

 
12.
Les yeux remplis de souvenirs
Une main sur la plaie grande ouverte
Comme s'ils sentaient le froid venir
Dans la grande plaine déserte : 
" Mutter !... Mutter ! ... ( Mère )
Komm doch bei mir ( Viens, près de moi ! ):

" Maman !... Maman ! (Implorait l'autre enfant )
- Viens, je vais mourir !


   Carte Postale, Guillaume Apollinaire

Guillaume Apollinaire est un poète et écrivain français né le 25 août 1880 à Rome et mort pour la France le 9 novembre 1918 à Paris. Carte postale issu du recueil Calligrammes a été écrit durant la Première Guerre Mondiale (1914-18) à la première personne, décrit la beauté de la nature détruite par l'horreur de la guerre. 

Je t’écris de dessous la tente
Tandis que meurt ce jour d’été
Où floraison éblouissante
Dans le ciel à peine bleuté
Une canonnade éclatante
Se fane avant d’avoir été

La Rose et le Réséda, Louis Aragon 
Louis Aragon est un poète, romancier et journaliste du XXème siècle. Surréaliste ainsi que dadaïste, il écrit de la poésie engagé en ayant soutenu le Parti communiste français. En décembre 1944, Aragon publie le recueil La Diane Française, qui est consacré à la Résistance, et notamment dédicacé aux résistants Guy Môquet, Gabriel Péri, Honoré d’Estienne d’Orves et Gilbert Dru. On y trouve le poème « La Rose et le Réséda », qui appelle à l’unité des résistants, c’est-à-dire un dépassement des divisions politiques et religieux. 
Execution des membres du groupe "Manouchian",21 février 1944, Clemens Ruther
« Et quand vient l'aube cruelle 
  Passent de vie à trépas »  


Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas 
Que l'un fut de la chapelle 
Et l'autre s'y dérobât 
Celui qui croyait au ciel 
Celui qui n'y croyait pas 
Tous les deux étaient fidèles 
Des lèvres du cœur des bras 
Et tous les deux disaient qu'elle 
Vive et qui vivra verra 
Celui qui croyait au ciel 
Celui qui n'y croyait pas 
Quand les blés sont sous la grêle 
Fou qui fait le délicat 
Fou qui songe à ses querelles 
Au cœur du commun combat 
Celui qui croyait au ciel 
Celui qui n'y croyait pas 
Du haut de la citadelle 
La sentinelle tira 
Par deux fois et l'un chancelle 
L'autre tombe qui mourra 
Celui qui croyait au ciel 
Celui qui n'y croyait pas 
Ils sont en prison Lequel 
A le plus triste grabat 
Lequel plus que l'autre gèle 
Lequel préfère les rats 
Celui qui croyait au ciel 
Celui qui n'y croyait pas  
Un rebelle est un rebelle 
Deux sanglots font un seul glas 
Et quand vient l'aube cruelle 
Passent de vie à trépas 
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas 
Répétant le nom de celle 
Qu'aucun des deux ne trompa 
Et leur sang rouge ruisselle 
Même couleur même éclat 
Celui qui croyait au ciel 
Celui qui n'y croyait pas 
Il coule il coule il se mêle 
À la terre qu'il aima 
Pour qu'à la saison nouvelle 
Mûrisse un raisin muscat 
Celui qui croyait au ciel 
Celui qui n'y croyait pas 
L'un court et l'autre a des ailes 
De Bretagne ou du Jura 
Et framboise ou mirabelle 
Le grillon rechantera 
Dites flûte ou violoncelle 
Le double amour qui brûla 
                                                                                L'alouette et l'hirondelle                                                                                     La rose et le réséda 

Le Déserteur, Boris Vian
Boris Vian est un écrivain, poète et musicien français du XXème siècle. Il écrit le poème « Le Déserteur » en 1953, qui est interprété pour la première fois en 1954. C’est un poème pacifiste, en réaction contre la guerre d’Indochine (1946-1954).
Un déserteur, 1951
« Ma décision est prise / je m’en vais déserter » 
Monsieur le Président je vous fais une lettre                                           Depuis que je suis né                  
Que vous lirez peut-être                                                                       J'ai vu mourir mon père
Si vous avez le temps                                                                           J’ai vu partir mes frères
Je viens de recevoir                                                                              Et pleurer mes enfants
Mes papiers militaires                                                                           Ma mère a tant souffert
Pour partir à la guerre                                                                          Qu’elle est dedans sa tombe
Avant mercredi soir                                                                              Et se moque des bombes
Monsieur le Président                                                                            Et se moque des vers
je ne veux pas la faire                                                                           Quand j’étais prisonnier
je ne suis pas sur terre                                                                         On m’a volé ma femme
Pour tuer des pauvres gens                                                                    On m’a volé mon âme
C’est pas pour vous fâcher                                                                     Et tout mon cher passé
Il faut que je vous dise                                                                           Demain de bon matin
Ma décision est prise                                                                              Je fermerai ma porte
je m’en vais déserter                                                                              Au nez des années mortes
                                                                                                            J’irai sur les chemins

Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens
Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer.



Manhattan Kaboul, Renaud

Renaud est un auteur, compositeur et interprète français de la fin du XXème siècle et début du XXIème siècle. Dans ses chansons, il critique la société et s’engage dans des causes telles que les droits de l’homme et l’antimilitarisme. En 2002 sort l’album Boucan d’enfer, dont la chanson « Manhattan-Kaboul » (interprétée avec Axelle Red), qui traite de la seconde guerre d’Afghanistan après les attentats de 11 septembre 2001. 

Intervention militaire dans un village afghan, 2003

« Petite fille Afghane
 / De l’autre côté de la terre / Jamais entendu parler de Manhattan
 / Mon quotidien c’est la misère et la guerre » 
Petit Portoricain
Bien intégré, quasiment New-Yorkais
Dans mon building tout de verre et d’acier
Je prends mon job, un rail de coke, un café
Petite fille Afghane
De l’autre côté de la terre
                  Jamais entendu parler de Manhattan         Mon quotidien c’est la misère et la guerre

Refrain :
Deux étrangers au bout du monde, si différents
Deux inconnus, deux anonymes, mais pourtant
Pulvérisés sur l’autel
De la violence éternelle
Un 747
S’est explosé dans mes fenêtres
                          Mon ciel si bleu est devenu orage
      Lorsque les bombes ont rasé mon village

Refrain
So long ! Adieu mon rêve américain
Moi plus jamais esclave des chiens
Ils t’imposaient l’Islam des tyrans
Ceux-là ont-ils jamais lu le Coran ?
Suis redev’nu poussière
Je s’rai pas maître de l’univers
Ce pays que j’aimais tell’ment serait-il
Finalement colosse aux pieds d’argile ?
Les dieux, les religions
Les guerres de civilisation
Les armes, les drapeaux, les patries, les nations
                F’ront toujours de nous de la chair à canon

Refrain (x2)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire